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Comme les 5.5 Designers dans un magasin de porcelaine…

Jeudi dernier (18 février), les 5.5 Designers étaient invités par l’Echangeur à venir présenter leur travail dans le cadre d’une conférence intitulée « Design fait maison ». Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard, les deux représentants du collectif (ou plutôt du « cabinet de recherche et de consultation en design », puisque c’est comme ça qu’ils se présentent) sont notamment revenus sur le projet réalisé en 2005 avec la Fondation Bernardaud pour la Nouvelle Biennale de Céramique de Châteauroux.

Les 5.5 ont sélectionné sept produits classiques dans le catalogue du porcelainier limougeaud et sont intervenus, pour chacun d’eux, à une étape étape-clé de son processus de production : le coulage pour le crémier Phoebe, le calibrage pour le saladier de la ligne Douce, le garnissage pour la tasse Frivole, etc. Cette intervention n’a pas consisté à « mettre la main à la pâte » (c’est le cas de le dire), mais à animer « des séances de créativité, sous forme de workshop, directement sur la chaîne de production ».

atelier calibrage, usine Bernardaud, 2005 - Photo: 5.5 Designers

L’objectif était d’inciter les ouvriers à rompre la gestuelle mécanique, contrôlée et parfaitement soignée qu’ils accomplissent à longueur de journée, et de les laisser exprimer leur créativité le temps de quelques pièces, sans pour autant rompre la cadence industrielle. Après ce « piratage », l’objet poursuivait normalement son parcours dans la chaîne de production. Cette expérimentation a donné naissance à plus de 500 pièces uniques, portant chacune la signature des 5.5 et de l’ouvrier.

L’opération a bénéficié d’une abondante couverture presse et a donné lieu à de nombreuses expositions : à la biennale de Châteauroux (2005), mais aussi à la manufacture Bernardaud (2006), au Superstudio Più de la Fiera de Milan (2006), à la Biennale Internationale de Design de Saint-Étienne (2006), à la galerie Droog (2007) et finalement à la boutique du musée des arts décoratifs (2007). Un coffret de quatre tasses issues du projet a même été commercialisé en 2007, en édition limitée à 1000 exemplaires.

Coffret de 4 tasses limité à 1000 exemplaires, Bernardaud, 2007 - Crédit photo : 5.5 Designers

Lors de la conférence, les 5.5 ont évoqué les raisons qui les avaient poussés à imaginer ce dispositif. Il s’agissait pour eux de valoriser un savoir-faire, et plus encore les ouvriers qui le détiennent. La perfection des produits Bernardaud tend à occulter le fait qu’ils sont tous réalisés à la main : en détournant momentanément la main de cette perfection, le projet visait justement à souligner la virtuosité dont font preuve en temps normal les individus qui leur donne forme, cette « intelligence de la main » trop souvent négligée. En faisant « de chaque ouvrier un designer », l’intention était aussi, comme l’a souligné Jean-Sébastien Blanc de « requalifier la classe ouvrière » et (plus modestement) « d’offrir un moment créatif » que l’on imagine bienvenu, compte tenu de la répétitivité des gestes.

L’autre aspect intéressant de ce projet est qu’il traduit bien les diverses « obsessions » que l’on perçoit dans le travail des 5.5 depuis le début de leur activité, en 2003. A commencer par le besoin de toujours (ré)inventer leur métier, que les designers justifient par le fait qu’aucun d’entre eux n’a jamais travaillé dans une agence (et n’a donc pas une vision définitive de ce que doit être ce travail). En déléguant l’aspect créatif du projet aux ouvriers, ils montrent qu’ils sont moins intéressés par sa dimension esthétique que par la mise en place de nouvelles méthodologies de conception, susceptibles de donner naissance à de nouveaux produits. Pour Jean-Sébastien Blanc « A quatre, il faut qu’on invente des histoires pour créer. On ne peut pas avoir un style. On essaie de voir comment l’esthétique peut découler du processus qu’on met en place ». Et de citer Danielle Quarante : « Aujourd’hui, pour innover, il faut concevoir la conception ».

Saladier Calibrage n°3, Bernardaud, 2005 - Crédit photo : 5.5 Designers

Ce qui est aussi récurrent dans le travail des 5.5 Designers, c’est une réflexion sur la place qu’occupe le design dans le cycle de vie des objets : doit-il se cantonner à celle qui lui est habituellement attribuée, entre le brief du marketing et l’étude de faisabilité de l’ingénieur ? Ou peut-il s’inviter à d’autres étapes ? Avec la « médecine des objets« , leur tout premier projet, ils avaient déjà exploré le rôle que pouvait jouer le design en fin de vie du produit, lorsque celui-ci est mis au rebus. Avec Bernardaud, l’idée était de l’intégrer directement au niveau de la production. A chaque projet (ou presque), les designers cherchent à investir de nouveaux territoires. L’opération « Save a product » qu’ils ont initiée en 2008 (suite à l’abandon d’un projet par son commanditaire à seulement à 15 jours du lancement commercial de la gamme) montre bien tout l’intérêt de cette démarche, et le potentiel d’innovation qu’elle renferme.

Assiette Décalque n°10, Bernardaud, 2005 - Crédit photo : 5.5 Designers

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